François Hollande adapte sa tactique à la guerre de mouvement sarkozienne

Gare du Nord, l'Eurostar est encore à l'arrêt, François Hollande vient à peine de s'asseoir et, autour de lui, ses officiers de sécurité guettent le moindre mouvement d'un regard noir. Le candidat socialiste, lui, affiche une absolue décontraction et invite les journalistes à s'approcher. Derrière, les deux membres de son service de presse qui l'accompagnent à Londres, ce mercredi 29 février, étouffent un fou rire d'impuissance: une fois de plus, "François" n'en fait qu'à sa tête.

La conversation s'engage d'emblée sur la proposition faite l'avant-veille sur TF1 de porter à 75% le taux d'imposition des très hauts revenus. Pourquoi avoir pris tout le monde par surprise ? "C'est long, une campagne. Moi, cela va bientôt faire un an que je me suis déclaré. On ne peut pas être toujours sur le même rythme, il faut savoir “accrocher” au bon moment, étonner quand c'est nécessaire, déstabiliser au besoin."





Et tant pis si le député Jérôme Cahuzac, son conseiller pour les questions fiscales, a été agacé d'être le soir même, sur France 2, sommé d'expliciter une proposition à l'élaboration de laquelle il n'avait pas été associé. "Ce n'est pas l'entourage qui compte, c'est le candidat, tranche M.Hollande. C'est lui qui doit avoir la maîtrise de la campagne." Un peu plus tard, il précisera: "J'avais prévenu Cahuzac par SMS un peu avant."

"COUP D'ÉCLAT PERMANENT"

François Hollande se serait-il converti à la politique du "coup d'éclat permanent", qu'il a dénoncée chez Nicolas Sarkozy ? Force est de constater que le candidat socialiste – jusqu'ici caractérisé par son extrême prudence tactique et sa science de la synthèse, plus que par son amour du risque – ne rechigne plus à prendre tout le monde de court. "Il surprend, et c'est bien", se félicite son directeur de la communication, Manuel Valls.

Passagèrement déboussolé par l'entrée en campagne musclée du chef de l'Etat, le candidat socialiste a pris le parti d'étonner. "Il fallait laisser passer l'orage de la candidature Sarko, décrypte M. Valls. On entre dans une autre campagne. Il faut être capable de s'adapter. Et s'adapter, ça veut dire bouger, être en mouvement." M. Hollande, donc, "bouge" de nouveau.

Son agenda, il le veut désormais plus réactif, notamment en relation avec celui du président-candidat. Ainsi l'équipe a-t-elle calé le déplacement à Florange (Moselle) du 24 février la veille au soir, dans les voitures qui la ramenaient du meeting du Mans, afin de faire pièce à la visite de M. Sarkozy à Petroplus. De même, le candidat socialiste a limité ses déplacements à l'étranger.

Mais c'est surtout sur ses propositions que M. Hollande entend désormais surprendre. "Vous vous souvenez, pendant la primaire ? J'avais aussi fait ça avec les 60 000 postes" dans l'éducation nationale, plastronnait-il mercredi. Même scénario lors de son discours du Bourget, dans lequel il avait pris le parti d'égrener ses propositions plutôt que de se limiter à sa vision de la France.

DES IDÉES QUI FONT LE BUZZ

Ces deux séquences réussies l'ont incité à récidiver. D'abord, parce que, de l'avis général, les soixante propositions présentées fin janvier n'ont pas "imprimé" dans l'opinion. Mais, surtout, pour endiguer le flot de mesures quotidiennement charrié par M. Sarkozy. "Comme François ne faisait pas d'annonce dans ses meetings, il sentait bien que ça ne fonctionnait pas, commente un dirigeant du PS. D'autant que Sarko balance à chaque fois des idées qui font le buzz, même si elles sont bidons."

Alors, M. Hollande dégaine. Au Génopole d'Evry, le 22 février, il se prononce pour la recherche des cellules souches embryonnaires. A Florange, il brandit une proposition de loi obligeant une entreprise voulant fermer un site industriel à la céder au repreneur qui se présente. Lundi, sur TF1, il crée l'événement avec la taxation des plus hauts revenus. D'autres initiatives devraient suivre. "Il faut des surprises", confirme M. Valls.

La variation stratégique est d'autant plus notable que l'ancien premier secrétaire n'est pas précisément un homme de coups. Contrairement à Ségolène Royal, qui mena en 2007 une campagne déroutante, François Hollande semblait parti pour gérer son insolente avance sondagière en bon père de famille. Mais il connaît trop l'histoire des campagnes présidentielles pour se limiter à un anti-modèle.

"François a compris que Ségolène ne gérait pas ses coups, décrypte un dirigeant du parti. Mais aussi que Jospin, en campagne, pratiquait l'inertie et n'était pas mobile." Au fait, qu'a-t-il prévu pour contrer le grand meeting de M. Sarkozy, dimanche 11 mars ? "On fera juste un marché, bien sûr", lâche-t-il, l'œil pétillant.
David Revault d'Allonnes et Thomas Wieder (Londres, envoyé spécial)

Sources : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/03/01/francois-hollande-adapte-sa-tactique-a-la-guerre-de-mouvement-sarkozienne_1650360_823448.html