Présidentielle : comment François Hollande est en train de tuer le match

Nicolas Sarkozy clame qu'il a changé mais à l'évidence, ce n'est pas vrai. C'est plus fort que lui, l'exaspération, les crispations, les attaques ad hominem contre son principal adversaire, l'avalanche de ses propositions chocs, ses déclarations lamentables sur le halal ou l'épuration, sa dérive droitière démontrent qu'il est toujours le même : imprévisible, colérique, méprisant, sûr de lui jusqu'à l'arrogance, prêt à tout, quitte à rabaisser son image de présidentiable pour tenter de conjurer son échec annoncé par les sondages.

La zen attitude de Hollande

François Hollande, lui, ne dit rien sur son évolution depuis le début de la campagne, mais il a réellement changé. Il est parvenu à se débarrasser de cette statue de cire dans laquelle il s'était enfermé lui-même voici très exactement un an, quand il a décidé de se lancer dans le combat de la présidentielle. Et il nous montre désormais une nature densifiée, une vraie personnalité de présidentiable qu'il espère capable de rassurer les Français et de les rassembler.

On dirait que plus le candidat de la droite s'agite et veut diviser, provoquer par des idées choquantes ou démagogiques, attirer sur lui les projecteurs des médias, plus au contraire, le candidat de la gauche prend soin de poursuivre sur la voie qu'il s'est tracée, d'expliquer son programme dans le détail, comme encore ce lundi 5 mars à Nancy.

Personne ne pourra plus dire que François Hollande n'a pas de programme, lui qui a présenté dans les Vosges ses idées sur l'enseignement supérieur, lui qui répète à longueurs de réunions qu'il veut être jugé sur deux engagements, une meilleure vie pour les jeunes et une plus grande justice pour tous, lui qui déroule à chaque occasion ses 60 soixante propositions comme une explication de texte du meeting fondateur du Bourget.

Se moquer de l'homme, aujourd'hui, c'est prendre le risque considérable de mépriser les Français, de plus en plus nombreux à reporter sur lui leur espérance. Nicolas Sarkozy ne s'en prive pas, de même que François Fillon qui, semble-t-il, préfère attaquer son adversaire que défendre son champion, allez savoir pourquoi ?

Capital confiance

François Hollande, lui, n'en a cure. Au fil des jours, ses meetings commencent à lui ressembler, signe d'une rencontre évidente entre l'homme et les Français. Certes, il y a toujours cette ferveur militante qui se manifeste dans chaque discours mais il y a aussi une atmosphère nouvelle, faite de chaleur humaine et d'intimité, de complicité entre ces foules de milliers de personnes et celui qui leur parle sur l'estrade avec de plus en plus de facilité, de vérité.

En confiance, même s'il doit toujours, répète-t-il, rester vigilant, même si la partie n'est pas encore gagnée, même s'il se garde bien de vendre la peau de l'ours, le candidat socialiste laisse désormais percer sa nature. Il combat l'adversaire, certes, mais il sait aussi montrer tour à tour de la gravité, de la fermeté, mais aussi de la sérénité, de l'ironie voire de l'autodérision.

À Nancy, il a montré une nouvelle fois sa capacité à encaisser non seulement les attaques de ses adversaires mais aussi les coups du sort. Ainsi, une anecdote. Pendant plusieurs minutes, à la suite d'une panne de console, François Hollande s'est trouvé privé de micro. Terrible moment de solitude quand des milliers de gens épient ses réactions. Pourtant, il reste souriant, s'amuse de l'incident, boit un peu d'eau, prend des gens en apparté, bref, occupe la scène par sa seule présence. Et quand le son remarche, il lance, joyeux : "Rien ne peut nous arrêter !" devant une foule qui se met à l'applaudir à tout rompre.

Il évite le piège de la polémique

Auparavant, François Hollande répond non seulement sans s'énerver, mais avec humour à ceux qui, à droite, trouvent qu'il n'a pas "l'envergure" : il n'a jamais été ministre ? "C'est vrai, mais c'est mieux que de l'avoir été dix ans" pour le résultat qu'on connaît ? Et de rappeler qu'il a été dix ans Premier secrétaire et élu depuis vingt-cinq ans.

Puis il évoque avec sérénité "le complot européen" organisé contre lui selon une information du magazine allemand der Spiegel : "Il m’est dit, je ne sais pas si l’information est juste, que les dirigeants conservateurs ne verraient pas mon élection de la meilleure des façons, je les comprends, ils sont conservateurs, je suis socialiste !".

Enfin, François Hollande dit ne pas vouloir répondre à la violence verbale par des surenchères : "Je me laisserai pas entraîner par les polémiques, il y a des spécialistes, des surenchères". "Je ne me laisserai pas détourner de la voie que j’ai tracée, celle de la victoire, du changement, je ne me laisserai pas laisser entraîner par les outrances et la polémique".

Et d'expliquer une nouvelle fois que la droite espère, par ce petit jeu stérile, provoquer une réaction de rejet chez les électeurs : "Ils ont peur du verdict du peuple français, espèrent que l’abstention rendra la sanction moins lourde. Nous voulons que les Français participent massivement".

Ainsi, refuse-t-il le débat lancé par Marine Le Pen sur la viande hallal : "Je ne laisserai pas la campagne saisie par la surenchère où on viendrait regarder les règles d’abattage", où "on inventerait des formules toutes faites pour rassurer les Français qui n’ont pas besoin d’être inquiétés".

Il combat l'adversaire sans bassesse

Pour autant, François Hollande accepte le combat avec l'adversaire, mais il garde le sourire . "Je n’ai pas besoin d’une sécurité renforcée, je ne risque rien. Je peux me promener dans la rue sans encombre", lance-t-il par exemple au public qui applaudit car il a saisi l'allusion à la mésaventure du président sortant, encadré par des CRS dans les rues de Bayonne.

Si la campagne devient plus violente, ce ne sera pas de son fait : "On nous dit qu’elle n’est pas forcément à la hauteur de ce qu’attendent les Français. C’est possible parce qu’il ne s’agit pas simplement de manier l’invective ou d’abaisser le niveau, comme on dit dans les petites classes. Le niveau baisse. C’est vrai pour certains. Et c’est pour cela qu’il ne faut pas les faire redoubler".

Enfin, François Hollande répond à sa manière aux accusations de la droite sur son d'arrogance : "Je vous demande de vous convaincre que rien n’est joué, rien n’est fait. Je sais qu’en face, un peu de précipitation les a saisis, de l’inquiétude aussi. Je les connais, je le vois à leur visage. Ils ne sont pas sereins. Je les comprends".

Et d'appeler au rassemblement "au delà de la gauche", car dit-il, demain, si les Français le veulent, il sera "le président de tous". Après dix ans d'opposition, il doit, dit-il, cette victoire au peuple de gauche. Rien n'est encore fait, certes, mais chacun se rend compte de l'évolution de la campagne. D'un côté, un présiden" sur France 2; de l'autre, un candidat socialiste serein, qui est en train, inexorablement, de tuer le match.

Sources : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/356833-presidentielle-comment-francois-hollande-est-en-train-de-tuer-le-match.html