«Ce soir, Hollande m'a fait penser à Mitterrand»

Par Laure Bretton envoyée spéciale à Marseille

Mercredi soir, François Hollande était en meeting à Marseille. Devant 8000 personnes massées dans le Dôme, le candidat socialiste à l'Elysée a attaqué sec le président sortant et ses propositions européennes – une «virevolte» – et appelé à la mobilisation dès le premier tour face au risque d'abstention et d'éparpillement des voix à gauche. Sondage grandeur nature auprès de quelques participants attrapés sous les arcs de la salle futuriste.

Charlette et Lucienne viennent de se faire rabrouer à l'entrée du Dôme: trop de monde. Sexagénaires et pomponnées, elle sont toutes les deux encartées au PS, à «la section 313 de Saint-Jérôme juste à côté»: «Hollande au moins, on comprend ce qu'il dit. Il pense à tout le monde dans ses discours. Et puis, il ne dit pas des mensonges comme l'autre depuis cinq ans.»

Benjamin, géographe au chômage et au T-shirt «CCCP» rouge délavé, n'est «pas fervent socialiste mais sûr de voter à gauche les deux tours». A 26 ans, le grand brun est surtout l'incarnation du «vote utile». Une position qu'il revendique sans ambiguité: «J'ai toujours été de gauche mais je trouve que Mélenchon, il gueule un peu trop. De toutes façons, Hollande, c'est le seul qui a une chance de gagner. A la présidentielle, c'est comme ça qu'il faut voter. Dans les autres élections, j'ai déjà voté Verts ou plus à gauche.» Au premier tour, il votera donc «Hollande plutôt que n'importe qui à droite». Ce qu'il retient de son projet présidentiel? «La tranche d'impôt à 75% au-dessus du million, c'est pour ramener des voix, attirer l'attention. C'est quand même un peu extrême.»

«Je sais comment les promesses finissent»

Victor a tout juste 20 ans mais c'est déjà un grand brûlé de la politique. L'étudiant ingénieur a pris sa décision de... ne pas voter dans cinq semaines alors que cette présidentielle aurait été son premier scrutin: «Je préfère ne pas voter que voter pour quelqu'un qui me décevra.» Dans la salle du Dôme qui se vide, il récupère une affichette «60000 postes créés dans l'Education», l'une des mesures phares du socialiste: «Comme d'habitude, j'ai entendu beaucoup de promesses ce soir. Je n'ai que 20 ans mais ce n'est pas la première élection que je vois, je sais comment généralement les promesses finissent.» Venu en «observateur», il a entendu parler du projet d'impôt pour les très riches mais «s'il n'y a que la France qui le fait, ce n'est pas utile. Le propre des gens qui ont de l'argent, c'est de pouvoir aller s'installer dans d'autres pays où cette taxe n'existe pas». Mercredi soir, Victor a surtout écouté le discours du candidat sur les zones sensibles: «Qui a envie de vivre dans une zone? La République ne connaît pas les zones!», a lancé Hollande à la tribune. Mais là encore, pour le jeune homme, ça ne colle pas: «Ça ne sent pas le vécu, je parie que c'est un mec – et pas un mec de terrain – qui lui a fait un rapport et qui lui a dit: "tiens faut que tu dises ça". Ce que le PS devrait faire, c'est venir regarder ce que font les associations dans les quartiers sensibles. Ce sont les seules à pouvoir rattraper les jeunes qui basculent.»

Serge, la quarantaine joufflue et un accent entêtant, est «socialiste de famille». Il repart vers Istres avec un drapeau tricolore dédicacé par le candidat, au prix d'une longue attente en bas de la tribune. Il était venu pour voir s'il «pouvait être convaincu» par Hollande. Verdict après deux heures trente de meeting dont une heure vingt de discours du candidat: «C'est un grand homme comme on dit, il a une personnalité simple, s'exprime vraiment bien.» Pour ce qui est des idées, Serge retient «surtout les propositions sur les impôts». Qui vont augmenter si Hollande est élu. «Et alors? Aujourd'hui, depuis cinq ans, ils augmentent déjà les impôts. Nous, les classes moyennes on paie toujours plus.» Vu les contingences budgétaires, dit-il, «si Hollande arrive à appliquer son programme, chapeau!»

«Je me dis que Nicolas roule pour François»


En 2007, Nourdine avait fait la campagne de Royal, qu'il n'appelle que «Marie-Ségolène», avec enthousiasme. Cinq ans plus tard, ce traducteur d'une petite cinquantaine d'années, blouson en cuir et lunettes cerclées d'argent, s'apprête à voter pour Hollande sans état d'âme: «Il inspire la confiance, j'apprécie ce mélange de discernement et d'humour.» Il n'a pas sa carte au PS. «A Marseille, je ne la prendrai pas. A Maubeuge, si», dit-il en référence aux affaires qui visent certains hiérarques socialistes locaux. D'ailleurs, à la primaire, il a voté au premier tour pour le pourfendeur du PS des Bouches-du-Rhône, Arnaud Montebourg, afin d'«envoyer un message?aux socialistes marseillais». En 2007, «Marie-Ségolène a ouvert des voies, elle a osé une certaine indépendance par rapport au parti... qui le lui a bien rendu. Cette fois, sur les plateaux de télévision, les mecs envoyés pour parler de Hollande ne regardent pas le plafond comme quand ils étaient censés parler d'elle.» Que pense-t-il des sondages, de la campagne du président sortant? «Parfois, je me dis que Nicolas roule pour François. Il y avait beaucoup de gens qui n'étaient pas très enthousiastes sur la candidature de Hollande, mais à chaque mensonge, à chaque insulte de Sarkozy, ça mobilise un peu plus les gens chez nous.»

Sophie, «ouvrière et retraitée et fière de l'être», n'a jamais manqué un meeting socialiste de sa vie. Elle est arrivée très en avance à Marseille par un bus affrété par la fédération des Alpes-de-Haute-Provence, garé sous le «paquebot» bleu du Conseil régional. La dame fluette qui vient d'acheter un T-shirt «Vivement mai avec François Hollande» égrène: «1981, 1988, 1995, 2002?– ah ça, 2002, ça a été quelque chose! – 2007...» en laissant traîner sa voix comme un signe de désapprobation sur cette dernière date: «Royal, c'était un peu étrange, on ne comprenait pas tout, j'avais du mal à suivre.?Hollande, il a été premier secrétaire pendant onze ans. Il connaît tout le monde. On peut ne pas être d'accord avec tout ce qu'il propose mais il fera un bon gouvernement. Peut-être qu'il manque un peu de charisme mais ce soir, avec sa voix cassée, il m'a fait penser à Mitterrand.» Dans la presse, elle a lu des articles mentionnant les formules à répétition du candidat socialiste, alors mercredi soir, entourée de ses copines, elle a «ri comme une baleine» quand il a dit «rendez-vous compte!».

Delia, 14 ans, est arrivée très en retard au meeting: elle avait une leçon de musique à ne pas manquer. Elle a traversé Marseille avec son père à toute berzingue et fait des pieds et des mains pour capturer une image de Hollande sur son téléphone portable après le discours. En avril, elle ne pourra pas voter. Malgré son jeune âge, la collégienne dit du candidat: «Il a une intelligence calme.»

Sources : http://www.liberation.fr/politiques/01012396123-ce-soir-il-m-a-fait-penser-a-mitterrand